Halte aux cadences infernales !


Alors que l'année s'achève, le constat s'impose et il n'est guère surprenant. Le circuit féminin a été une nouvelle victime du mal du siècle : la fatigue. La faute à une réglementation laxiste et peu innovante qui n'a pas su s'adapter aux contraintes des temps modernes, notamment le changement climatique. Mais, plus que tout, c'est l'influence néfaste des chaînes de télévision qui a tout saccagé sans que personne ne lève le doigt pour contester, hormis quelques voix éparses, perdues dans un océan d'ignorance. Que reste-t-il à sauver ? La catastrophe peut-elle encore être évitée ? Voyons quelles sont les pistes à explorer.

Le tennis, c'est du sport et le sport, ça fatigue. N'y voyez surtout pas une forme d'ironie de ma part. C'est un simple constat, un fait que personne ne peut contredire hormis, peut-être, ceux que l'on a coutume d'appeler les sportifs du dimanche ou les sportifs de canapé. Là où les choses vont commencer à devenir embêtantes, c'est lorsque s'ajoute à la fatigue physique la fatigue dite nerveuse. Attention, il ne s'agit pas ici de la fatigue que les sportifs peuvent ressentir dans les situations de stress, par exemple, mais d'une autre forme de fatigue nerveuse, plus insidieuse et liée à d'autres contextes. Pour faire le plus simple possible, sans rentrer dans des détails inutiles qui rendraient cet éditorial trop long, cette fatigue dont il est question peut découler de deux facteurs : des facteurs internes et des facteurs externes. Pour ce qui est du tennis, pratiqué quotidiennement à un niveau professionnel, les facteurs internes sont ceux qui dépendent des conditions de jeux. Météo (chaleur, froid, vent, pluie), qualité des courts, comportement du public (selon qu'il soit bruyant, dissipé, hostile), attitude de l'adversaire (imaginez que vous deviez affronter souvent un Benoît Paire ou une Jelena Ostapenko), tensions avec l'arbitre de chaise ou les juges de lignes, etc, etc. Nous parlons bien ici de tout ce qui se rapporte à une fatigue nerveuse entièrement dépendante du tennis de haut niveau en lui-même. Pour les facteurs externes, la fatigue va s'exprimer différemment via des éléments extérieurs à ce qui se passe sur le court. Exemples parmi tant d'autres et hélas d'actualité : le contexte géopolitique lié à la guerre en Ukraine ou au conflit israélo-palestinien, ou alors un contexte plus sociétal comme les restrictions sanitaires qui ont fait tant de mal à la discipline lorsque la première vague de Covid a débarqué.

Mais, au fil du temps, d'autres éléments néfastes sont venus se greffer à ceux déjà existants. C'est là que nous en arrivons au sujet qui va nous intéresser. Le tennis a changé. Il n'est plus seulement du sport mais, du business. Bien sûr, la remarque vaut aussi bien pour le football que pour le basket, le cyclisme ou la natation. Le sport au vingt-et-unième siècle est avant tout une affaire de gros sous et le tennis n'échappe pas à cette règle. Pour regarder sur vos écrans des tournois du Grand Chelem ou de la WTA, vous devez allonger la monnaie, c'est comme ça et on n'y peut rien. Les chaînes de télévision allongent elles aussi la monnaie, si bien que pour compenser les sommes colossales qui sont mises en jeu, ces chaînes adaptent leurs offres en demandant aux organisateurs de tournois de diffuser des matches à des horaires précis afin d'engranger le plus d'argent possible. Ainsi, les matches programmés en session nocturne sont devenus légions. Problème : il semblerait que certains aient oublié que les joueuses de la WTA (et les joueurs du circuit ATP) sont avant tout des humains et pas des robots à qui l'on commanderait de faire les choses. C'est là que la discipline va se heurter à un problème de taille : les cadences. Combien de fois a-t-on vu, rien que cette année, des matches commencer tardivement dans la soirée pour se terminer au cœur de la nuit, parfois vers trois ou quatre heures du matin ? Dans les tournois du Grand Chelem, par exemple, les "night sessions" sont censées débuter à dix-neuf heures ou dix-neuf heures trente, heure locale. Hors, il n'est pas rare que ces sessions débutent beaucoup plus tard, parfois entre vingt heures trente et vingt-et-une heures trente, voire plus tard encore, comme cela s'est déjà vu de nombreuses fois ces dernières années. Tout ça pour faire plaisir à qui ? Les TV, bien sûr, devant lesquelles fédérations et organisateurs de tournois s'aplatissent comme des crêpes en guise de soumission (et aussi parce que ça fait bien mousser le chèque à la fin du mois).

Parfois, les choses peuvent aller si loin que les organisateurs se retrouvent confrontées à des difficultés ingérables. Un fait important avait capté l'attention le mois dernier lorsque le joueur italien Jannik Sinner avait déclaré forfait juste avant son huitième de finales aux Masters de Paris. Sinner avait pris cette décision radicale non pas parce qu'il était blessé ou malade mais, pour préserver sa santé étant donné que son match du second tour s'était terminé extrêmement tard dans la nuit et qu'il estimait ne pas avoir bénéficié du temps de récupération nécessaire entre deux matches. La décision de Sinner était sans doute la sagesse incarnée mais, ne fallait-il pas aussi y voir de la part de l'italien une forme de révolte contre les cadences infernales imposées conjointement par les organisateurs et les chaînes de télévision ? Le plus inquiétant est que ce problème se répète partout désormais. Quasiment dans tous les tournois ATP, WTA et Grand Chelem, vous avez des matches qui vont se terminer à l'heure à laquelle le coq va commencer à chanter, c'est devenu récurrent. Je vous laisse alors imaginer ce que cela serait si, dans un tournoi comme Roland-Garros ou Wimbledon, une Swiatek, une Sabalenka ou une Gauff se mettait à faire un coup à la Sinner. Ce serait le début d'une révolution sans précédent qui remettrait en cause l'hégémonie des télés et ferait peut-être réfléchir tous les mécréants qui sont en train de transformer le tennis professionnel en un phénomène de foire. 

Alors, si une telle révolte devait avoir lieu, si Jannik Sinner donnait des idées à certains ou certaines, quelles solutions pourraient être envisagées pour réduire ces cadences insoutenables qui mettent en danger la santé physique et mentale des joueurs et des joueuses ? Voici quelques pistes qui mériteraient d'être étudiées, si tant est que l'aspect financier puisse être mis de côté (ce qui est loin d'être gagné) :
  • Faire débuter les sessions nocturnes à 19 heures et pas après ;
  • Faire débuter les sessions matinales dès 10 heures, notamment les jours de forte chaleur ;
  • Réduire le temps de jeu en adoptant le super tie-break à 10 points dans tous les tournois ;
  • Si des matches prévus en journée devaient s'éterniser, reporter les matches suivants au lendemain ;
  • Si les sessions nocturnes devaient être retardées, les reprogrammer au lendemain en matinée ou soirée ;
  • Ne pas obliger les joueuses ou les joueurs à débuter leur match après 19h ;
N'oublions surtout pas que le contexte est très changeant et que chacun doit s'y adapter. Les problèmes d'infrastructure (tous les tournois ne possèdent pas de toits rétractables sur les courts) et le caractère de plus en plus imprévisible du climat sont des éléments cruciaux qu'il faudra tôt ou tard prendre en considération. Si les organisateurs et les chaînes de télévision refusent de faire cet effort d'une nécessité absolue, le tennis lui-même sera alors en danger d'extinction.

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